Chut! C'est pour son bien...

Le 11 juillet 2017

 

Pour protéger les enfants, les adultes choisissent bien souvent de leur cacher la vérité. 







Que faire des secrets de famille?

Marine choisit l’avortement lors de sa troisième grossesse. Son conjoint, Sébastien, et elle en sont arrivés à cette décision d’un commun accord : ils sont déjà à bout de souffle en raison de la précarité d’emploi de Marine, du retour aux études de Sébastien, des comptes qui s’accumulent et des défis familiaux quotidiens.  Ils sont bien d’accord pour garder la grossesse et l’avortement sous silence. À quoi bon mêler les enfants à tout ça? Ils n’y comprendront rien et ils pourraient même douter de l’amour que leurs parents leur portent… penser qu’eux-mêmes sont un fardeau ou qu’ils n’ont pas été désirés. 
 

N’est-ce pas la meilleure décision possible pour le bien des enfants?


Malheureusement, les secrets, loin d’avoir l’effet désiré, font presque inévitablement du tort aux enfants.


 

 

Qu’est-ce qu’un secret de famille ?



Un secret est une information qu’une ou des personnes cachent délibérément à autrui (Ausloos, 1980). 

Ils ne doivent pas être confondus avec les « jardins secrets » auxquels chacun a droit.


Les secrets de famille touchent souvent la naissance, la mort, la sexualité, l’argent, la délinquance ou la maladie. Ils
peuvent, par exemple, être liés à la naissance d’un enfant conçu à l’occasion d’une liaison ou à un avortement, à une mort violente ou par suicide, à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre d'un des membres de la famille, à un abus sexuel, à un héritage, au chômage, à un crime commis ou subi, à un trouble psychologique ou même à des émotions ou sentiments éprouvés, comme un amour inavoué. Rares – inexistantes ? - sont les familles n’ayant jamais de leur histoire cultivé un secret.

Le secret de famille a habituellement pour origine la honte ou la culpabilité. Ceux qui le gardent vivent généralement dans la crainte que le secret soit dévoilé et que cela crée une atteinte à leur image ou à celle de leur famille.


Être inclus dans un secret, c’est-à-dire connaître l’information tenue secrète, tout comme en être tenu à l’écart peut générer de l’anxiété et de nombreuses autres souffrances chez un enfant.


L’enfant qui est tenu à l’écart d’un secret perçoit son existence et interprète son contenu, plus ou moins consciemment. Il devine son existence, mais sans pouvoir le saisir ou le nommer.


En effet, le secret influence les comportements de ceux qui le portent: leurs mots, leurs silences et malaises, leurs intonations, comme leurs contradictions. Les actions posées ou évitées par ceux qui portent le secret paraissent souvent étranges aux yeux de celui qui en est tenu à l’écart et suscite chez lui des interrogations, plus ou moins conscientes ou verbalisées.





L’adulte qui porte un secret de famille peut avoir tendance à nier ce que l’enfant perçoit:

« Pourquoi te fâches-tu quand je te parle de grand-maman, papa?

- Où vas-tu chercher ça? Je ne me fâche pas! »


Dans une telle situation, l’enfant qui perçoit réellement une réaction qu’il n’arrive pas à s’expliquer chez son père peut en venir à remettre ses propres perceptions en question.



 

Quoi dire aux enfants? Quand leur parler?



Rachel devient enceinte à l’occasion d’une liaison d’un soir. Son mari, Marc, et elle sont encore amoureux. De plus, ils projetaient de faire un troisième enfant ensemble, au moment où Rachel a fait ce faux pas. Ils choisissent de passer l’éponge et d’élever l’enfant ensemble.


Doivent-ils révéler la vérité aux trois enfants?


Oui.


De nombreux motifs peuvent être invoqués pour cacher la vérité aux enfants. Dans la situation de Rachel et Marc, les arguments suivants peuvent être soulevés : si l’enfant conçu hors mariage apprend la vérité, il doutera de l’amour que Marc lui porte, il se sentira dévalorisé, voire coupable. Il risque aussi d’être rejeté par ses frères et sœurs si ceux-ci apprennent la vérité sur son origine.


Cependant, les secrets de famille sont toujours toxiques et leurs conséquences dépassent généralement celles qu’engendre la divulgation de la vérité. L’enfant à qui on cache un secret de famille perçoit son mystère et subit des conséquences, plus ou moins graves, qui sont liées aux faits qui lui sont cachés, sans en comprendre l’origine. Par conséquent, il importe d’être transparent au quotidien, de répondre aux questions, de rompre les silences et de révéler les secrets.



Répondre simplement aux questions des enfants – quelles qu’elles soient et quelle que soit la nature du secret – est la façon la plus simple d’y parvenir. Toute réponse honnête à une question authentique vaut la peine d’être donnée. Cependant, il est essentiel d’être sensible à son jeune interlocuteur et de tenir un discours qui lui est adapté.



L’enfant, confronté à un secret de famille, peut ne pas savoir quelle question poser. Il peut aussi avoir compris qu’un sujet est tabou (interdit) et ainsi éviter d’en parler. Il ne faut donc pas toujours attendre les questions des enfants pour leur révéler un secret de famille.



 

Les secrets des enfants




On utilise souvent l’expression « bons et mauvais secrets », dans les discours visant à sensibiliser les enfants à l’importance de révéler tout secret lourd à porter. En effet, il y a une distinction importante à faire entre éviter de révéler à papa sa surprise d’anniversaire et retenir un secret :
  • Lourd à garder (qui le rend anxieux ou malheureux);
  • Qui concerne une personne en danger;
  • Qui se rapporte à l’enfant lui-même (chacun doit être libre de parler de chaque chose qu’il fait ou qui lui arrive);
  • Qui est accompagné d’une menace (« si tu en parles… x malheur surviendra »).


Les enfants doivent être informés de l’existence de ces types de secrets et apprendre à distinguer les « bons secrets » des « mauvais ». Ils doivent aussi être rassurés, par un adulte de confiance, quant au fait qu’ils seront écoutés s’ils ont un secret à confier et qu’ils ne doivent pas se laisser intimider par les menaces.




Si un enfant vous rapporte un secret:


  • Écoutez-le bien attentivement;
  • À prime abord, prenez pour acquis qu’il dit la vérité – C’est très important;
  • Évitez de mettre des mots dans sa bouche: laissez-le parler;
  • Ne dramatisez pas;
  • Protégez l’enfant;
  • Soyez responsable et faites suite aux confidences de l’enfant en posant les gestes nécessaires, en fonction de la situation. 

Pour en savoir plus sur quoi faire en cas de dévoilement d'un secret, cliquez  ICI.





Comment réagissez-vous à cet article? Laissez-moi vos commentaires! 


Marie-Pascale Deegan, Travailleuse sociale, M. Sc.


Une première version de ce texte a déjà été publiée en mars 2015 sur le site Avec l’enfant (www.aveclenfant.com)




Pour vous aider ou pour poursuivre la réflexion




 

Sources





Prochains billets



  • La réalisation de soi: accompagner les ados et les jeunes adultes 
  • Le stress et l'anxiété chez les enfants à l'heure des écrans 
  • La sécurité des enfants et la prise de risque

3 commentaires:

  1. Je trouve ce texte très troublant. Je ne suis pas certaine que j'aurais aimé être l'enfant dont tout le monde sait qu'elle est née de l'aventure d'un soir de sa maman...

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    1. Oui, je comprends. C'est généralement le cas, lorsqu'il y a un secret. Être l'enfant dont tout le monde sait que le père s'est suicidé ou dont tout le monde sait que la grand-mère a été internée en psychiatrie ou dont tout le monde sait que la mère souffre de toxicomanie ou d'alcoolisme... Cela dit, "tout le monde" ne doit pas savoir pour qu'un sujet ne soit plus un secret. Le sujet doit simplement cesser d'être tabou. On doit avoir le droit d'en parler. C'est différent. D'autre part, les secrets se savent presque toujours. Des gens sont au courant de la vérité et elle fait son chemin, parfois comme une trainée de poudre. Les enfants finissent bien souvent par les connaitre et ils peuvent vivre une honte encore plus vive, à ce moment-là, parce que la vérité est gardée secrète. Et peut-être encore plus grande lorsqu'ils sont eux-mêmes directement concernés par le secret, comme dans ce cas. Une honte liée à la situation à l'origine du secret, certes, mais à laquelle s'ajoute la honte de la famille qui n'a pas voulue que le secret soit révélé. L'enfant se doute bien, lorsqu'il découvre le pot-aux-roses, que d'autres sont au courant puisque lui l'est maintenant... Mais qui? Lui ou elle? Tout le monde, peut-être? Et il n'ose peut-être même pas en parler lui-même à ses parents, plus tard à son conjoint... Il le porte. Si, au contraire, on lui révèle la vérité, il peut l'assimiler. Il peut se faire rassurer par son père, Marc, sur le fait que c'est en connaissance de cause qu'il a choisi de devenir son père et qu'il l'aime de toute la force de ce choix. Il peut être rassuré par ses frères et sœurs sur sa place dans la famille. Il peut exprimer sa tristesse ou sa colère envers sa mère, qui elle peut lui exprimer ses regrets pour son geste, mais sa gratitude envers la vie parce qu'elle lui a apporté, lui, cet enfant, et pas un autre. Et ainsi de suite. Les membres de la famille peuvent ensemble assimiler la vérité, panser les plaies qu'elle occasionne et construire un présent et un avenir sain sur un terreau fait de vérité et de relations de confiance.

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    2. J'ajouterai que les secrets qui ne sont pas révélés sont souvent appris dans des circonstances déplorables : une conversation alors que les adultes pensent que les enfants dorment, un reproche hurlé lors d'une dispute et ainsi de suite. Souvent, les enfants comprennent bien qu'ils ne devraient pas être au courant et ils portent lourdement la vérité découverte abruptement et évitent d'en parler. De plus, ils se sentent trahis dans leurs liens si privilégiés avec leurs parents qui les ont tenu à l'écart d'informations liées à leur propre histoire et identité. Éviter ce sentiment de trahison est une des raisons majeures pour lesquelles la vérité devrait être révélée, car la relation de confiance entre un enfant et son parent est au cœur du sentiment de sécurité de l'enfant et à la base de sa capacité de créer des liens d'attachement significatifs avec les gens. Enfin, l'enfant qui découvre tardivement que des fondements sur lesquels il a construit sont identité étaient biaisés se voit obligé de reconnaitre qu'elle a été construite sur un mensonge - douleur - et de la reconstruire sur de nouvelles bases qui sont source de honte au sein de sa famille - douleur -.

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