Pour protéger les enfants, les adultes choisissent bien souvent de leur cacher la vérité.
Que faire des secrets de famille?
Marine
choisit l’avortement lors de sa troisième grossesse. Son conjoint, Sébastien,
et elle en sont arrivés à cette décision d’un commun accord : ils sont déjà à bout de souffle en raison de la précarité
d’emploi de Marine, du retour aux études de Sébastien, des comptes qui
s’accumulent et des défis familiaux quotidiens. Ils sont bien d’accord
pour garder la grossesse et l’avortement sous silence. À quoi bon mêler les
enfants à tout ça? Ils n’y comprendront rien et ils pourraient même douter de
l’amour que leurs parents leur portent… penser qu’eux-mêmes sont un fardeau ou
qu’ils n’ont pas été désirés.
N’est-ce pas
la meilleure décision possible pour le bien des enfants?
Malheureusement,
les secrets, loin d’avoir l’effet désiré, font presque inévitablement du tort
aux enfants.
Qu’est-ce qu’un secret de famille ?
Un secret
est une information qu’une ou des personnes cachent délibérément à autrui
(Ausloos, 1980).
Ils ne doivent pas être
confondus avec les « jardins secrets » auxquels chacun a droit.
Les secrets
de famille touchent souvent la naissance, la mort, la sexualité, l’argent, la
délinquance ou la maladie. Ils
peuvent, par exemple, être
liés à la naissance d’un enfant conçu à l’occasion d’une liaison ou à un
avortement, à une mort violente ou par suicide, à l’orientation sexuelle ou à
l’identité de genre d'un des membres de la famille, à un abus sexuel, à un
héritage, au chômage, à un crime commis ou subi, à un trouble psychologique ou
même à des émotions ou sentiments éprouvés, comme un amour inavoué. Rares – inexistantes ? - sont les
familles n’ayant jamais de leur histoire cultivé un secret.
Le secret de
famille a habituellement pour origine la honte ou la culpabilité. Ceux qui le
gardent vivent généralement dans la crainte que le secret soit dévoilé et que
cela crée une atteinte à leur image ou à celle de leur famille.
Être
inclus dans un secret, c’est-à-dire connaître l’information tenue secrète, tout
comme en être tenu à l’écart peut générer de l’anxiété et de nombreuses autres
souffrances chez un enfant.
L’enfant qui
est tenu à l’écart d’un secret perçoit son existence et interprète son contenu,
plus ou moins consciemment. Il devine son existence, mais sans pouvoir le
saisir ou le nommer.
En effet, le
secret influence les comportements de ceux qui le portent: leurs mots, leurs
silences et malaises, leurs intonations, comme leurs contradictions. Les
actions posées ou évitées par ceux qui portent le secret paraissent souvent
étranges aux yeux de celui qui en est tenu à l’écart et suscite chez lui des
interrogations, plus ou moins conscientes ou verbalisées.
L’adulte qui
porte un secret de famille peut avoir tendance à nier ce que l’enfant
perçoit:
« Pourquoi
te fâches-tu quand je te parle de grand-maman, papa?
- Où
vas-tu chercher ça? Je ne me fâche pas! »
Dans une
telle situation, l’enfant qui perçoit réellement une réaction qu’il n’arrive
pas à s’expliquer chez son père peut en venir à remettre ses propres
perceptions en question.
Quoi dire aux enfants? Quand leur parler?
Rachel devient
enceinte à l’occasion d’une liaison d’un soir. Son mari, Marc, et elle sont
encore amoureux. De plus, ils projetaient de faire un troisième enfant
ensemble, au moment où Rachel a fait ce faux pas. Ils choisissent de passer
l’éponge et d’élever l’enfant ensemble.
Doivent-ils
révéler la vérité aux trois enfants?
Oui.
De nombreux
motifs peuvent être invoqués pour cacher la vérité aux enfants. Dans la
situation de Rachel et Marc, les arguments suivants peuvent être
soulevés : si l’enfant conçu hors mariage apprend la vérité, il doutera de
l’amour que Marc lui porte, il se sentira dévalorisé, voire coupable. Il risque
aussi d’être rejeté par ses frères et sœurs si ceux-ci apprennent la vérité sur
son origine.
Cependant,
les secrets de famille sont toujours toxiques et leurs conséquences dépassent
généralement celles qu’engendre la divulgation de la vérité. L’enfant à qui
on cache un secret de famille perçoit son mystère et subit des conséquences,
plus ou moins graves, qui sont liées aux faits qui lui sont cachés, sans en
comprendre l’origine. Par conséquent, il importe d’être transparent au
quotidien, de répondre aux questions, de rompre les silences et de révéler les
secrets.
L’enfant,
confronté à un secret de famille, peut ne pas savoir quelle question poser. Il
peut aussi avoir compris qu’un sujet est tabou (interdit) et ainsi éviter d’en
parler. Il ne
faut donc pas toujours attendre les questions des enfants pour leur révéler un
secret de famille.
Les secrets des enfants
On
utilise souvent l’expression « bons et mauvais secrets », dans les
discours visant à sensibiliser les enfants à l’importance de révéler tout secret
lourd à porter. En effet, il y a une distinction importante à faire entre
éviter de révéler à papa sa surprise d’anniversaire et retenir un secret :
- Lourd à garder (qui le rend anxieux ou malheureux);
- Qui concerne une personne en danger;
- Qui se rapporte à l’enfant lui-même (chacun doit être libre de parler de chaque chose qu’il fait ou qui lui arrive);
- Qui est accompagné d’une menace (« si tu en parles… x malheur surviendra »).
Les enfants
doivent être informés de l’existence de ces types de secrets et apprendre à
distinguer les « bons secrets » des « mauvais ». Ils
doivent aussi être rassurés, par un adulte de confiance, quant au fait qu’ils
seront écoutés s’ils ont un secret à confier et qu’ils ne doivent pas se
laisser intimider par les menaces.
Si un enfant vous rapporte un secret:
- Écoutez-le bien attentivement;
- À prime abord, prenez pour acquis qu’il dit la vérité – C’est très important;
- Évitez de mettre des mots dans sa bouche: laissez-le parler;
- Ne dramatisez pas;
- Protégez l’enfant;
- Soyez responsable et faites suite aux confidences de l’enfant en posant les gestes nécessaires, en fonction de la situation.
Comment
réagissez-vous à cet article? Laissez-moi vos commentaires!
Marie-Pascale
Deegan, Travailleuse sociale, M. Sc.
Une première
version de ce texte a déjà été publiée en mars 2015 sur le site Avec l’enfant (www.aveclenfant.com)
Pour vous aider ou pour poursuivre la réflexion
- Fondation Marie-Vincent, 2016. Comment réagir en cas de doute ou de dévoilement?
- Tisseron, S., 2008. Les secrets de famille, comment en parler?
- Tisseron, S., 2007. Secrets de famille – Mode d’emploi, Quand et comment faut-il en parler?, Éditions Marabout.
Sources
- Formation Concepts de base sur les jeunes endeuillés par Josée Masson, directrice générale de Deuil-Jeunesse, 2013.
- Fondation Marie-Vincent, 2016. Comment prévenir la violence sexuelle, https://marie-vincent.org/cause/comment-prevenir-la-violence-sexuelle/ (consulté le 9 juillet 2017).
- Fondation Marie-Vincent, 2016. Comment réagir en cas de doute ou de dévoilement?, https://marie-vincent.org/cause/comment-reagir-en-cas-de-doute-ou-de-devoilement/ (consulté le 9 juillet 2017)
- Supervisions cliniques en travail social avec Linda Roy, T.S. et Robert Thibodeau, T.S., 2004-2009.
- Tisseron, S., 2008. Les secrets de famille, comment en parler?, http://www.youtube.com/watch?v=n1BBUuHrKhg (consulté le 9 juillet 2017)
- V.G.-Morval, M., 1985. Psychologie de la famille, Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 150 pages.
Prochains billets
- La réalisation de soi: accompagner les ados et les jeunes adultes
- Le stress et l'anxiété chez les enfants à l'heure des écrans
- La sécurité des enfants et la prise de risque







Je trouve ce texte très troublant. Je ne suis pas certaine que j'aurais aimé être l'enfant dont tout le monde sait qu'elle est née de l'aventure d'un soir de sa maman...
RépondreEffacerOui, je comprends. C'est généralement le cas, lorsqu'il y a un secret. Être l'enfant dont tout le monde sait que le père s'est suicidé ou dont tout le monde sait que la grand-mère a été internée en psychiatrie ou dont tout le monde sait que la mère souffre de toxicomanie ou d'alcoolisme... Cela dit, "tout le monde" ne doit pas savoir pour qu'un sujet ne soit plus un secret. Le sujet doit simplement cesser d'être tabou. On doit avoir le droit d'en parler. C'est différent. D'autre part, les secrets se savent presque toujours. Des gens sont au courant de la vérité et elle fait son chemin, parfois comme une trainée de poudre. Les enfants finissent bien souvent par les connaitre et ils peuvent vivre une honte encore plus vive, à ce moment-là, parce que la vérité est gardée secrète. Et peut-être encore plus grande lorsqu'ils sont eux-mêmes directement concernés par le secret, comme dans ce cas. Une honte liée à la situation à l'origine du secret, certes, mais à laquelle s'ajoute la honte de la famille qui n'a pas voulue que le secret soit révélé. L'enfant se doute bien, lorsqu'il découvre le pot-aux-roses, que d'autres sont au courant puisque lui l'est maintenant... Mais qui? Lui ou elle? Tout le monde, peut-être? Et il n'ose peut-être même pas en parler lui-même à ses parents, plus tard à son conjoint... Il le porte. Si, au contraire, on lui révèle la vérité, il peut l'assimiler. Il peut se faire rassurer par son père, Marc, sur le fait que c'est en connaissance de cause qu'il a choisi de devenir son père et qu'il l'aime de toute la force de ce choix. Il peut être rassuré par ses frères et sœurs sur sa place dans la famille. Il peut exprimer sa tristesse ou sa colère envers sa mère, qui elle peut lui exprimer ses regrets pour son geste, mais sa gratitude envers la vie parce qu'elle lui a apporté, lui, cet enfant, et pas un autre. Et ainsi de suite. Les membres de la famille peuvent ensemble assimiler la vérité, panser les plaies qu'elle occasionne et construire un présent et un avenir sain sur un terreau fait de vérité et de relations de confiance.
EffacerJ'ajouterai que les secrets qui ne sont pas révélés sont souvent appris dans des circonstances déplorables : une conversation alors que les adultes pensent que les enfants dorment, un reproche hurlé lors d'une dispute et ainsi de suite. Souvent, les enfants comprennent bien qu'ils ne devraient pas être au courant et ils portent lourdement la vérité découverte abruptement et évitent d'en parler. De plus, ils se sentent trahis dans leurs liens si privilégiés avec leurs parents qui les ont tenu à l'écart d'informations liées à leur propre histoire et identité. Éviter ce sentiment de trahison est une des raisons majeures pour lesquelles la vérité devrait être révélée, car la relation de confiance entre un enfant et son parent est au cœur du sentiment de sécurité de l'enfant et à la base de sa capacité de créer des liens d'attachement significatifs avec les gens. Enfin, l'enfant qui découvre tardivement que des fondements sur lesquels il a construit sont identité étaient biaisés se voit obligé de reconnaitre qu'elle a été construite sur un mensonge - douleur - et de la reconstruire sur de nouvelles bases qui sont source de honte au sein de sa famille - douleur -.
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